Les sans-papiers au Luxembourg:

au-delà des préjugés et des fantasmes

5. Retour de terrain

Il est très difficile que de regarder quelqu’un en détresse dans les yeux et de devoir lui dire: “Nous ne pouvons malheureusement rien faire”. Pourtant nous le faisons bien trop souvent.

Étant assistantes sociales, notre travail consiste à fournir une aide visant à permettre à la personne de mieux se réaliser par une meilleure utilisation de ses propres ressources afin de favoriser l’épanouissement de ses potentialités et une plus grande autonomie. C’est en donnant des informations sur la loi de l’immigration et en soutenant les personnes dans leurs démarches que nous le faisons. Cependant, dans le travail avec des personnes en situation de séjour irrégulier, nous ne pouvons souvent pas mener à bien notre mission.

Les personnes que nous voyons au quotidien vivent souvent en situation irrégulière et cela depuis des mois, parfois des années et même des décennies. Malgré toutes les difficultés liées à cette situation irrégulière, la plupart des personnes qui viennent à notre rencontre montrent une volonté exceptionnelle de s’en sortir: ce sont souvent des travailleurs tenaces, qui sont prêts à accepter des tâches difficiles et peu valorisées, des personnes débrouillardes qui, privées de tout soutien, réussissent à offrir un semblant de stabilité à leur famille. Leur force et leur résilience ne cessent de nous impressionner.

Contrairement aux idées parfois véhiculées dans les médias ou par certains bords politiques, beaucoup de personnes sans titre de séjour sont des personnes qui se sentent à la maison au Luxembourg et qui aimerait pouvoir participer plus aux communautés dans lesquelles elles vivent. Malgré une vie souvent marquée par de l’insécurité, les sans-papiers que nous rencontrons dans notre travail ont un ou plusieurs emplois, des amis, souvent des enfants scolarisés et de nombreuses personnes sont actives dans le monde associatif culturel et social. Pour ces personnes, la perspective d’un retour dans le pays d’origine est rarement envisagée. Leur vie est profondément ancrée au Luxembourg et, à ce titre, elles contribuent à son développement.

En raison de leur situation administrative, ce sont des personnes souvent exposées au risque d’exploitation. Lorsqu’elles sont victimes d’abus, l’absence d’une autorisation de séjour les empêche de signaler les cas à la police par crainte d’être expulsées. Les conséquences psychologiques de la vie en situation irrégulière sont immenses et les possibilités d’avoir accès à une aide psychologique quasi nulles. La peur constante d’être appréhendé et expulsé et l’incertitude quant à l’avenir peuvent affaiblir la personne et provoquer stress, anxiété, dépression et d’autres maladies. Nous voyons des personnes en grande détresse psychologique bien trop régulièrement.

Beaucoup de compétences, d’ambitions et de vies sont gâchées à cause de règles administratives bureaucratiques qui maintiennent les gens dans des situations de flou et de peur. Cette réalité est particulièrement douloureuse pour les enfants, souvent nés en Europe, qui sont en situation administrative irrégulière pendant des années en raison de la situation de leurs parents. Ces jeunes sont incapables de se projeter dans l’avenir et souffrent d’être traités différemment. Les jeunes mineurs en situation administrative irrégulière que nous voyons à l’ASTI font preuve de beaucoup de maturité: ce sont des enfants qui maitrisent plusieurs langues, qui traduisent souvent des informations bien trop difficiles et qui démontrent la faculté de comprendre une situation complexe. Avant tout, ce sont des enfants qui vont à l’école et qui devraient avoir le droit à l’égalité, sans distinction de race présumée, de religion ou de nationalité.

Malgré leurs difficultés, les personnes en situation de séjour irrégulier que nous rencontrons ne sont pas des acteurs passifs; elles possèdent un sens élevé des responsabilités et ambitionnent de se développer et de contribuer à leur communauté.

Il est souvent difficile pour nous, de concevoir qu’il n’y ait pas de façon d’inclure des personnes si enracinées au Luxembourg. Naturellement, et fortes de notre expérience de terrain, nous soutenons la régularisation des personnes en situation administrative irrégulière.

Jessica Lopes et Laurence Hever, assistantes sociales au Guichet Info Migrants de l’ASTI

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